dimanche 26 avril 2015

Coffre-fort, QE & taux négatifs

Si la France emprunte déjà à taux négatif sur de courtes échéances depuis 2012, la Suisse est devenue ce mois-ci le premier pays à emprunter à taux négatif sur 10 ans. Plus étonnant, un particulier danois vient d'obtenir de sa banque un taux (légèrement) négatif dans le cadre d'un emprunt à 3 ans.

Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'il se trouve actuellement un grand nombre d'investisseurs prêts à payer pour espérer retrouver leur capital à terme, tout en s'interdisant le moindre espoir de plus-value.

 

Cette aberration économique est aussi appelée « effet coffre-fort », certaines personnes étant disposées à se payer un coffre à la banque pour y placer des actifs sur une période donnée, le plus souvent par peur d'un vol ou d'un incendie. Ce n'est pas de très bonne augure pour l'économie mondiale car dans le cadre des emprunts obligataires d'états et des prêts aux particuliers, les investisseurs ne sont pas en l'espèce des individus isolés et apeurés. Il s'agit majoritairement d'états puissants et de grandes banques.

Pourquoi ces grands investisseurs institutionnels, qui ont accès à toutes les formes d'investissements possibles, décident-ils subitement et en connaissance de cause de renoncer à tout rendement ? Car en plus de coûter à son propriétaire, un actif placé à taux négatif se voit dévalué chaque année à hauteur de l'inflation. C'est la double peine.




Il n'y a à cela qu'une seule explication rationnelle : tout comme le particulier cité plus haut, les investisseurs veulent se prémunir du risque de destruction ou d'érosion de la valeur de leurs actifs. C'est-à-dire qu'ils redoutent à court terme au niveau mondial des krachs boursiers et immobiliers, des défauts de certains pays dans le remboursement des dettes souveraines et/ou une période d'inflation nulle, voire de déflation. En résumé, ils pensent qu'il vaut mieux payer une somme minime pour mettre son argent « dans un coffre-fort » plutôt que de l'indexer aux fluctuations des autres supports jugés trop chers ou trop risqués. Les particuliers feraient bien d'en prendre note.

Sauf que, au milieu de cette terra incognita economica, il faut mentionner le rôle particulier joué par la politique monétaire dite « accommodante » menée depuis le début de l'année par la Banque Centrale Européenne. Celle-ci, pour tenter de maintenir un semblant d'inflation en zone euro - c'est la nature de son mandat -, a planifié un vaste programme de rachat de dette publique européenne nommé Quantitative Easing (ou QE ou encore « assouplissement quantitatif »), inondant l'Europe de devises au moins jusqu'en septembre 2016. Cette création monétaire artificielle vise principalement à faire redémarrer l'économie européenne en y facilitant le crédit pour les particuliers et les entreprises.


Dans le meilleur des cas, les entreprises investiront, la croissance reviendra et permettra aux états fortement endettés de se désendetter peu à peu avec un mix d'inflation et de réformes structurelles. Dans le scénario catastrophe, cette injection d'argent « à bon marché » ne suffira pas à faire redémarrer une économie en panne de confiance, décorrélera durablement la valeur des actifs de leurs sous-jacents, ne donnera pas les marges de manœuvre pour se réformer aux pays qui en ont besoin et aura au contraire pour effet de faire monter les dettes publiques. En effet, si les nouveaux emprunts, contractés à taux nul ou négatif ne pèseront pas dans un premier temps sur les bilans, ils auront un effet de bombe à retardement lorsqu'il s'agira d'emprunter à nouveau pour les rembourser (comme le font tous les pays en déficit structurel) et que les taux auront remonté. Dans cette hypothèse, la dette publique atteindra très vite dans ces pays un niveau réellement insupportable rendant son remboursement plus que problématique.

On verra alors si les obligations d'état de la France - par exemple - constituaient bien pour ses créanciers un coffre-fort étanche aux turpitudes des marchés d'actifs internationaux.

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