Si la France emprunte
déjà à taux négatif sur de courtes échéances depuis 2012, la
Suisse est devenue ce mois-ci le premier pays à emprunter à taux négatif sur 10 ans. Plus étonnant, un particulier danois vient
d'obtenir de sa banque un taux (légèrement) négatif dans le cadre
d'un emprunt à 3 ans.
Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'il se trouve actuellement un grand nombre d'investisseurs prêts à payer pour espérer retrouver leur capital à terme, tout en s'interdisant le moindre espoir de plus-value.
Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'il se trouve actuellement un grand nombre d'investisseurs prêts à payer pour espérer retrouver leur capital à terme, tout en s'interdisant le moindre espoir de plus-value.
Cette aberration
économique est aussi appelée « effet coffre-fort »,
certaines personnes étant disposées à se payer un coffre à la
banque pour y placer des actifs sur une période donnée, le plus
souvent par peur d'un vol ou d'un incendie. Ce n'est pas de très
bonne augure pour l'économie mondiale car dans le cadre des emprunts
obligataires d'états et des prêts aux particuliers, les
investisseurs ne sont pas en l'espèce des individus isolés et
apeurés. Il s'agit majoritairement d'états puissants et de grandes
banques.
Pourquoi ces grands
investisseurs institutionnels, qui ont accès à toutes les formes
d'investissements possibles, décident-ils subitement et en
connaissance de cause de renoncer à tout rendement ? Car en
plus de coûter à son propriétaire, un actif placé à taux négatif
se voit dévalué chaque année à hauteur de l'inflation. C'est la
double peine.
Il n'y a à cela qu'une
seule explication rationnelle : tout comme le particulier cité
plus haut, les investisseurs veulent se prémunir du risque de
destruction ou d'érosion de la valeur de leurs actifs. C'est-à-dire
qu'ils redoutent à court terme au niveau mondial des krachs
boursiers et immobiliers, des défauts de certains pays dans le
remboursement des dettes souveraines et/ou une période d'inflation
nulle, voire de déflation. En résumé, ils pensent qu'il vaut mieux
payer une somme minime pour mettre son argent « dans un
coffre-fort » plutôt que de l'indexer aux fluctuations des
autres supports jugés trop chers ou trop risqués. Les particuliers
feraient bien d'en prendre note.
Sauf que, au milieu de
cette terra incognita economica, il faut mentionner le rôle
particulier joué par la politique monétaire dite « accommodante »
menée depuis le début de l'année par la Banque Centrale
Européenne. Celle-ci, pour tenter de maintenir un semblant
d'inflation en zone euro - c'est la nature de son mandat -, a
planifié un vaste programme de rachat de dette publique européenne
nommé Quantitative Easing (ou QE ou encore « assouplissement
quantitatif »), inondant l'Europe de devises au moins jusqu'en
septembre 2016. Cette création monétaire artificielle vise
principalement à faire redémarrer l'économie européenne en y
facilitant le crédit pour les particuliers et les entreprises.
Dans le meilleur des cas,
les entreprises investiront, la croissance reviendra et permettra aux
états fortement endettés de se désendetter peu à peu avec un mix
d'inflation et de réformes structurelles. Dans le scénario
catastrophe, cette injection d'argent « à bon marché »
ne suffira pas à faire redémarrer une économie en panne de
confiance, décorrélera durablement la valeur des actifs de leurs sous-jacents, ne donnera pas les marges de manœuvre pour se réformer
aux pays qui en ont besoin et aura au contraire pour effet de faire
monter les dettes publiques. En effet, si les nouveaux emprunts,
contractés à taux nul ou négatif ne pèseront pas dans un premier
temps sur les bilans, ils auront un effet de bombe à retardement
lorsqu'il s'agira d'emprunter à nouveau pour les rembourser (comme
le font tous les pays en déficit structurel) et que les taux auront
remonté. Dans cette hypothèse, la dette publique atteindra très
vite dans ces pays un niveau réellement insupportable rendant son
remboursement plus que problématique.
On verra alors si les
obligations d'état de la France - par exemple - constituaient bien
pour ses créanciers un coffre-fort étanche aux turpitudes des
marchés d'actifs internationaux.